Aujourd’hui, l’équipe de Librinova est allée à la rencontre de Marceline Bodier auteur de La fille au mitote, un roman mêlant psychologie et initiation auto-publié en juillet 2017. Deux mois après la sortie de son premier roman, elle se confie sur son univers et son parcours littéraire : Comment êtes-vous devenue auteur et depuis quand écrivez-vous ? Ah, placer un curseur sur un phénomène que l’on perçoit comme un continuum… Je suis entrée en CP en 1975 : donc, j’écris depuis 1975, facile. J’ai auto-édité un roman pour la première fois en 2017 : donc, je suis auteure depuis 2017, facile aussi. Mais entre les deux… Dans les années 1980, j’ai inventé des personnages récurrents et raconté leurs aventures à mon frère, et parfois, je les ai écrites. Après cela, j’ai plutôt écrit pour moi, des fragments de journal intime au gré des périodes de ma vie. Dans les années 2000, j’ai commencé un roman dont je me rappelle juste des bribes ; il y avait déjà une référence impertinente à Saint-Augustin, ingrédient incontournable de toutes mes idées de fiction. Dans les années 2010, tout cela s’est comme tricoté : au détour d’une page de journal intime, j’ai introduit une distance en laissant des idées de fiction s’en mêler. Une amie, à force de rire en lisant mes mails, m’a dit « tu devrais écrire des romans », et cette petite phrase a fonctionné comme une autorisation. Des personnages ont fait leur apparition dans ma tête, je les ai laissés s’exprimer, je leur ai choisi des prénoms en puisant chez mes auteurs préférés et des noms en jouant avec mon univers professionnel, ça a commencé à m’amuser… Et puis un beau jour, j’ai réalisé que si je me mettais à taper tout cela, cela ressemblerait à un roman. Alors, comment suis-je devenue auteure et depuis quand est-ce que j’écris ? Je n’en sais strictement rien, mais maintenant que je vous ai confié tout cela, vous pouvez peut-être m’aider à répondre ? Quel mot vous définit le mieux ? Il paraît que c’est la mode des mots démodés… fantasque ? Insolite ? Primesautière ? Déconcertante ? Quelles sont vos sources d’inspiration ? Mais la vie, le quotidien, le monde qui m’entoure ! La langue allemande a un verbe parfait pour décrire ce phénomène : « es fällt mir ein », « ça me tombe dedans » si on fait une traduction littérale, « il me vient une idée » si on fait la traduction correcte. Je ne devrais pas le dire, mais les réunions professionnelles sont un moment privilégié pour que « ça me tombe dedans »… Sans doute parce que le décalage fonctionne à plein régime : je regarde un orateur qui expose des idées complexes, il me regarde sans me voir, je le perçois, cela m’évoque d’autres situations où un homme regarde une femme sans la voir, et hop, c’est parti… la libre association peut d’autant mieux démarrer au quart de tour qu’elle est interdite. Quand et comment vous est venue l’idée d’écrire votre livre La fille au mitote ? Eh bien… si je reprends le raisonnement que je tenais tout à l’heure, quand j’ai considéré que le roman était terminé et que je pouvais le partager, je me suis mise à le relire en entier, dans l’ordre. J’ai été très surprise : à aucun moment je n’ai eu le sentiment d’avoir l’intention d’écrire exactement cette histoire ! A aucun moment je ne l’ai pensée d’un bout à l’autre ! Est-ce que je est vraiment une autre ? Pas tout à fait, car ce qui est très frappant, c’est que le livre est à la fois 0 % et 100 % moi. 0 % : je ne ressemble à aucun d es personnages, il ne m’est rien arrivé de ce que je décris, ce n’est pas ma vie. Oh, d’accord, si on cherche au niveau de l’anecdote, certaines d’entre elles sont des souvenirs. Mais lorsque des souvenirs sont pris dans un nouveau fil qui leur donne une autre signification, alors ce ne sont plus mes souvenirs, mais bien des créatures de mon imagination. 100 % : pour autant, chaque personnage est comme une facette de moi, fût-ce une facette que je rejette. Leur confrontation, leurs attirances et leurs conflits sont comme une matérialisation des luttes intérieures qui m’agitent et vont jusqu’au meurtre de certaines de mes facettes au profit d’une autre. Alors comment m’est venue l’idée d’écrire cela… eh bien ça m’est « tombé dedans » en suivant ma pente introspective. Pouvez-vous me parler de votre expérience avec Librinova ? Puis-je vous raconter une petite fable ? Vous allez comprendre. C’est l’histoire de trois ravissantes petites filles dans une grande école. Elles veulent toutes se faire remarquer du plus beau garçon de l’école, qui est là-bas, au bout de la cour, entouré d’une nuée de gens… comment faire ? La première lui envoie une lettre d’amour parfumée : c’est sûr, en la lisant, il aura le coup de foudre. La deuxième se fraye un chemin pour se mettre à portée de sa vue dans la foule, et se met à le couvrir de regards d’adoration : c’est sûr, il va l’apercevoir et lui rendre ses regards. La troisième entre dans la cour et s’arrête dans un groupe qui chante et danse. A votre avis, quelle est la fille qui a le plus de chances d’arriver à ses fins ? Pour ma part, je n’en ai aucune idée ! Quand on regarde un cas particulier, c’est indécidable : l’amour n’est pas une question de stratégie. Le coup de foudre ne se commande pas. En revanche, parmi toutes les petites filles du monde, lesquelles seront les plus nombreuses à sortir avec le plus beau garçon de leur cour ? Je fais le pari que ce sont les petites filles qui ressemblent le plus à la troisième. Quelle est l’erreur que font les deux premières ? Celle de coller de manière caricaturée aux pires stéréotypes de genre ? Si vous voulez. La première petite fille croit au prince charmant… c’est charmant. La deuxième y croit aussi, et elle pense qu’on peut être visible dans une foule où on n’est pas relié aux autres et qu’aucun frisson ne parcourt pour faire le lien entre elle et le garçon qu’elle regarde. La troisième, elle, croit peut-être au prince charmant, mais elle ne base rien sur cette croyance : elle va là où il y a des liens. Elle se raccroche à un réseau. Elle est la seule qui fait le pari que pour se distinguer, il faut d’abord se rassembler, quitte à s’éloigner. Que pour être visible, il faut d’abord se mettre dans un groupe visible. La première petite fille, c’est l’auteur isolé qui envoie son manuscrit aux éditeurs en espérant un coup de foudre. La deuxième, c’est l’auteur isolé qui auto-édite tout seul son manuscrit sur Amazon : il devient un parmi des millions (your book « is currently ranked #XXX,XXX out of over one million books in the Kindle Store », comme le dit si poétiquement la page auteur d’Amazon). La troisième, c’est l’auteur isolé qui frappe à la porte de Librinova. Il ne devient pas connu à tous les coups par magie ; mais Librinova l’est déjà, se rapproche un peu plus d’une masse critique grâce à lui, et il peut bénéficier de cette visibilité pour amorcer la sienne. En rejoignant Librinova, je suis devenue une petite fille qui chante et qui danse avec les autres. Avez-vous un prochain livre ou projet en tête ? Absolument. Je ne vis jamais sans écrire : c’est une manière de multiplier la vie. Nous n’en avons qu’une, mais nous pouvons en inventer d’autres. Cela dit, parler de mon projet actuel… c’est trop tôt ! Je peux juste dire que je suis comme John Irving (même si la ressemblance s’arrête là), qui a longtemps mis au moins un passage par Vienne et un ours dans tous ses romans : ma Vienne, c’est la musique… et mon ours, c’est Saint Augustin ! Portrait Chinois Si vous étiez un écrivain célèbre, vous seriez : L’oncle Édouard dans Les faux-monnayeurs. Un auteur sensible, torturé, en train d’écrire le livre que l’on est en train de lire… ça me parle ! Si vous étiez le personnage d’un roman, vous seriez : Zoé Bertgang. Lorsque je revêts une longue robe fluide et que je chausse des sandales plates, je me transforme en cette créature magique : la Gradiva. Je suis certaine que ce sentiment d’identification rend toute mon allure spéciale… Si vous écriviez vos mémoires, le titre en serait : Vous me permettez un petit exercice de style ? (Patchwork) Itinéraire d’une jeune fille annoncée. (Plagiat) La vie, mais où est donc le mode d’emploi ? (Boum shakespearienne) This is the story of such stuff as dreams, that are my reality, are made on. (Private joke) De l’Insee à Lincey. (Anagramme) Hi, contrebandier éleveur ! Si vos livres étaient adaptés au cinéma, quel acteur voudriez-vous pour jouer le rôle de vos personnages ? J’ai donné à plusieurs de mes personnages une forte identité visuelle avec quelques éléments très reconnaissables : un homme à longs cheveux bruns bouclés, une fille à longs cheveux blonds et lisses… des yeux bleus, d’autres détails encore… Eh bien je pense que dans ce cas, le spectateur ne peut qu’être déçu par leur incarnation à l’écran si celle-ci essaye trop de coller à la description faite par l’auteur. Elle sera toujours un peu trop ceci, un peu pas assez cela… L’homme à longue chevelure bouclée, par exemple : imaginez qu’il soit incarné par un jeune premier notoirement chauve affublé d’une perruque pour les besoins du rôle… Non. Il faut un acteur qui n’offre aucune ressemblance physique a priori avec le personnage : c’est comme ça que le spectateur peut combler de lui-même l’écart en projetant sur l’interprète ce qu’il a envie de retrouver. Et là, rien ne vient polluer le jeu de l’acteur. Alors voyons… qui peut tout jouer… Thomas N’Gijol ? Si vous organisiez un dîner exceptionnel, qui seraient vos invités idéaux ? J’aurais une seule invitée : Agatha Christie. Pour deux raisons, qui figurent toutes les deux dans son autobiographie, que j’ai lue déjà quatre fois et qui fait partie des livres que je relirai toujours. La première, c’est qu’elle se décrit comme une timide pathologique, incapable de parler en public, même de ses propres livres, même après des décennies du succès que l’on sait. Mais elle dit aussi qu’elle se révèle dans les situations en petit comité, et surtout, à deux. De fait, elle a connu des amitiés riches, elle relate des rencontres de voyage qui témoignent de son sens du contact et de sa capacité à nouer tout de suite une relation qui dépasse les apparences… tout cela m’aurait donné puissamment l’envie de la rencontrer en tête-à-tête, ne serait-ce qu’une fois. La deuxième, c’est que cette autobiographie contient une petite perle qui me ravit à chaque fois que je la redécouvre et me fait regretter amèrement de ne pas pouvoir rencontrer son auteure pour de bêtes raisons de limites temporelles. Elle raconte les retrouvailles avec son mari, Max Mallowan, après sa démobilisation en fin de seconde guerre mondiale. Lors de cette soirée, dit-elle (du moins dans la traduction française), « (Nous) nageâmes dans le bonheur ». N’est-ce pas délicieux… Virginie Despentes, une autre de mes auteures fétiches, aurait sans doute trouvé des mots plus imagés pour décrire la natation en question. Mais auraient-ils mieux collé à la situation ? Je n’en suis pas sûre. Avec cette formule désuète, évasive et à partir de laquelle le lecteur peut pourtant laisser surgir les images qui lui conviennent (pour ma part, ce sont celles de la dégustation du poisson brûlé qu’elle décrit juste avant), je nage moi-même dans le bonheur à chaque fois que je retombe dessus ! Pour aller plus loin : Livre numérique et livre papier : le match Découvrez La fille au mitote, le premier roman époustouflant de Marceline Bodier Comment publier un livre sur internet en autoédition ? La liste de l’auteur qui ne veut rien oublier !